Catherine Viollet Textes critiques
Couronne
De la météorologie cartésienne aux chemins d'eau Les météores Au sujet de la Figuration libre Sur le pas du temps du modèle
De la météorologie cartésienne aux chemins d'eau

« On avait quitté Cathe­rine Viol­let lors de son expo­si­tion mono­gra­phique Circu­la­tions en octobre 2021 à la gale­rie muni­ci­pale Jean Collet à Vitry sur Seine. Elle y avait créé in situ une pièce monu­men­tale pique­tée au couteau ou au poinçon sur une surface murale enduite à la chaux. Regrou­pés en de multiples points de tailles diffé­rentes, les éléments qui la compo­saient étaient à la fois ordon­nés ou dus au hasard du geste libre et surtout deve­naient des signes insu­laires ».

Sa nouvelle série inti­tu­lée De la météo­ro­lo­gie carté­sienne aux chemins d’eau autour des remous mari­times qui sera présen­tée en juillet prochain (vernis­sage le 9 juillet) dans l’église Notre-Dame de la Haye à Descartes, en Touraine, en reprend la lignée par le dessin et le travail à la frai­seuse mais s’est enri­chi d’un son. Cathe­rine Viol­let a fait pour ce travail une créa­tion à quatre mains avec le musi­cien et compo­si­teur François Lucas.

Après des recherches sur les fonds marins autour de la litté­ra­ture – Portrait du gulf stream d’Erik Orsenna ou Descente dans le mael­ström d’Ed­gar Allan Poe – ou de docu­ments plus tech­niques sur les courants aqua­tiques, l’ar­tiste a choisi de travailler sur du papier de fort gram­mage et de grand format qu’elle enduit dans un premier temps de deux couches d’acry­lique de couleur bleue « presque Klein », ayant aupa­ra­vant direc­te­ment versé sur le papier de la pâte pigmen­taire rouge ou jaune qui resur­gira lors du travail final. S’y ajoutent parfois au terme de la créa­tion des pigments argen­tés versés presque acci­den­tel­le­ment sur le support. Une fois le papier préparé, c’est avec une petite frai­seuse que Cathe­rine Viol­let crée l’œuvre : elle soulève la matière, la bous­cule et grave ainsi une sympho­nie de signes parfois aléa­toires lorsque la machine l’en­traîne presque malgré elle. L’ar­tiste fait surgir ainsi des figures lumi­nes­centes rappe­lant les fonds de mer ou leur imagi­naire. Si le dessin reste très présent, les formes ne semblent plus vouloir obéir qu’aux dérives désor­don­nées du subcons­cient et sont comme animées d’une violence inté­rio­ri­sée. Les lignes se parti­cu­la­risent, se téles­copent, l’une cède la place aux autres. Un vacille­ment s’opère autour des éléments marins et de ses profon­deurs. L’œil alors lâche son point de fixité, sa zone d’an­crage pour se saisir de la tension de l’œuvre qui le préci­pite, le ralen­tit, le brusque même parfois.
C’est alors que la musique appa­raît. Le chant de la frai­seuse, collecté pendant le travail de la peintre et bous­culé à son tour par l’élec­tro-acous­tique, lutte et joue avec le haut­bois et le saxo­phone, se lie aux gestes du musi­cien. Les sons circulent entre les œuvres, entre­te­nus comme une respi­ra­tion qui toujours se déploie.
Les phrases musi­cales, au contact des grands dessins, surgissent puis s’ef­facent et créent un espace qui s’ouvre, s’étire. La musique enva­hit celui qui l’écoute. Pas de construc­tion logique entre les mouve­ments sonores et l’œuvre plas­tique, mais une belle alliance forte de vita­lité et de lumière : le spec­ta­teur, par la magie de ce double chemin, suit un rêve qui renait sans cesse de lui même et met les sens en éveil.
Avec ce nouveau travail, Cathe­rine Viol­let propose deux niveaux de lecture – le son et le visuel – mais pour en saisir la cohé­rence, il faut les lire simul­ta­né­ment, avec le regard de l’in­tel­lect et celui du cœur.

Françoise Docquiert

Les météores

Il y a quelques mois, Cathe­rine Viol­let a décou­vert Les Météores (1673), un texte de René Descartes inclus dans le Discours de la méthode où l’au­teur livre son analyse sur les méta­mor­phoses de la nature. Un récit inat­tendu de la part de ce grand mathé­ma­ti­cien et philo­sophe qu’il présente comme “une fable du monde”. Un texte très enthou­sias­mant, poétique et lyrique à la fois, en phase avec notre époque habi­tée par les chan­ge­ments clima­tiques. Et il abonde aussi de croquis, de dessins.

La dernière série de l’ar­tiste a pris forme, en partie, autour des Météores, selon l’ac­cep­ta­tion de son auteur : terme qui désigne tous les phéno­mènes aériens sublu­naires. Cathe­rine Viol­let lui a donné ce nom en repre­nant à son compte cette faculté de Descartes de trans­fi­gu­rer, de trans­mettre, de trans­po­ser. L’ar­tiste envi­sage là encore sa pein­ture comme projet, risque, aven­ture, passage. On y retrouve des traces de Supports/Surfaces, plus exac­te­ment de Bernard Pagès dont le travail, dès les années 80, entaille direc­te­ment la couleur. Ou une relec­ture atten­tive d’Ells­worth Kelly qui affir­mait : « Dès le début du 20ème siècle, les artistes se sont inté­res­sés à la frag­men­ta­tion du monde et à la recherche de l’es­sence de la forme et de l’ex­pé­rience. L’un des évène­ments majeurs de l’his­toire de l’art abstrait a été la lutte de l’ar­tiste pour libé­rer la forme de la repré­sen­ta­tion et de la maté­ria­lité : la frag­men­ta­tion, l’im­por­tance de la forme unique ».

La plupart des toiles de la série Météores sont des grands formats qui tendent à l’abs­trac­tion, dans ce mouve­ment récurent à son œuvre : elle s’at­tache à la figure puis s’en détache. Le travail s’ar­ti­cule comme toujours autour de la notion de dé-liai­son. On y retrouve des rémi­nis­cences de sa série Le pas de temps du modèle — à partir des lignes de pertur­ba­tions atmo­sphé­riques dessi­nées scien­ti­fique­ment par les météo­ro­logues — ou encore ses lignes souples modé­li­sées dans l’es­pace à l’aide d’une règle d’ar­chi­tecte.
Certaines œuvres témoignent d’une nouveauté dans la pratique de l’ar­tiste : elle reprend d’an­ciens tableaux et y pose la pein­ture. C’est l’idée de la strate qui devient le soubas­se­ment d’une autre créa­tion et en enri­chit la matière.
D’autres sont recou­vertes en partie d’un frag­ment d’une toile ancienne mono­chrome, donnant à voir une super­po­si­tion d’images consti­tuées de dessins, de pein­ture et des champs colo­rés décou­pés.
D’autres enfin, comme souvent chez Cathe­rine, sont réali­sées sur des toiles enduites de pierre ponce, dont le frot­te­ment répété du pastel et du fusain révèle la matière.
Les dessins au fusain qui donnent forme au tableau, ou encore pique­tés au couteau ou au poinçon sur une surface murale enduite de chaux pour une pièce in-situ, sont calmes et clairs, proches de la recti­tude des dessins japo­nais. Regrou­pés en de multiples points de tailles diffé­rentes, ils deviennent signes insu­laires. Ces éléments qui sont à la fois ordon­nés ou dus au hasard du geste libre grâce à un échange subtil entre la diver­gence et la répé­ti­tion, donnent au nouveau travail de Cathe­rine Viol­let une dyna­mique toute parti­cu­lière. L’es­pace est presque sans profon­deur, le plat, le géomé­trique et le médi­ta­tif dominent. Les œuvres ont toutes une sensua­lité accen­tuée donnant à voir une percep­tion inten­sive qui précède la pensée.

Ses Météores ne se retrouvent, pour­tant, dans aucun champ de la pein­ture contem­po­raine. Viol­let, dans sa pratique, déjoue toute inféo­da­tion. En pour­sui­vant avec les Météores ses recherches sur le geste, le dessin, la matière de la toile, Cathe­rine Viol­let a produit une série de varia­tions combi­nées, non closes, permu­ta­tives, porteuses de sensa­tions, réser­voirs de sensi­bi­li­tés, lieux de trans­po­si­tions. Pourquoi leur impact est il si viscé­ral ? Peut être cette série révèle t-elle l’exis­tence d’un paysage encore inex­ploré par l’ar­tiste au sein de sa réflexion sur la fabri­ca­tion déli­bé­rée d’une œuvre. Ils pointent tous en tout cas vers une face très poétique de l’uni­vers puis­sant de l’ar­tiste.

Françoise Docquiert

Au sujet de la Figuration libre

Révé­lée en juin 1981 dans l’ex­po­si­tion mythique Finir en beauté, orga­ni­sée par le critique Bernard Lamarche-Vadel, Cathe­rine Viol­let est géné­ra­le­ment consi­dé­rée comme la seule artiste femme de la Figu­ra­tion libre, qui s’est alors cris­tal­li­sée dans ce loft pari­sien. Déjà proche de Rémy Blan­chard, Viol­let en effet intègre natu­rel­le­ment le groupe formé aussi de Bois­rond, Combas et Di Rosa, dont une pratique rapide, hyper éner­gique et jubi­la­toire de la pein­ture la rapproche alors.

Pour­tant, là où la Figu­ra­tion libre tourne osten­si­ble­ment le dos à la culture artis­tique clas­sique, privi­lé­giant des sujets issus du rock, de la bande dessi­née et plus géné­ra­le­ment de la rue, Cathe­rine Viol­let choi­sit pour sa part le jardin ; celui des Tuile­ries, préci­sé­ment, où elle découvre et photo­gra­phie les dix-huit sculp­tures d’Aris­tide Maillol (1861–1944), instal­lées en 1964 sous la direc­tion de sa modèle, muse puis galle­riste Dina Vierny, grande résis­tante aux talents nombreux (elle publie en 1975 un disque éton­nant de Chants du Goulag).


Dans un jeu de miroir entre sculp­ture et pein­ture, mais aussi entre figures fémi­nines (l’ar­tiste, la modèle, l’hé­roïne), l’art de Cathe­rine Viol­let s’épa­nouit, d’abord sur les feuilles étroites de ses carnets de croquis Je tiens beau­coup à pouvoir en quelque sorte recueillir dans ma main la future compo­si­tion, dit-elle, puis sur de larges toiles – souvent déjà colo­rées, des envers de tissus, dont du skaï – où les figures nues sont cernées par des éléments déco­ra­tifs pattern, où se perçoivent aussi les échos de Bonnard, Matisse ou Vuillard.


Pour autant, la pein­ture de Cathe­rine Viol­let n’a rien de commun avec l’art dit cultivé de la décen­nie 1980. En 1983, elle inti­tule la première présen­ta­tion d’en­ver­gure de ces œuvres inspi­rées par Maillol La trêve des héroïnes ; dans le cata­logue, elle évoque ces femmes abso­lu­ment au présent : Elles ne dorment pas, mais je souhaite que l’on sente qu’elles sont au repos entre deux phase actives : fortes, puis­santes, elles appa­raissent dispo­nibles après avoir combattu et avant d’en­tre­prendre de nouveaux combats.


La rétros­pec­tive que vient de lui consa­crer le musée d’Or­say, et l’ex­po­si­tion Maillol- Héri­tage, orga­ni­sée par l’his­to­rien de l’art Thierry Dufrêne à la Gale­rie Dina Vierny, ont permis de mieux prendre la mesure de la moder­nité toujours actuelle de l’art de Maillol. Grâce à la géné­ro­sité d’Oli­vier, Alexandre et Pierre Lorquin, et la parti­ci­pa­tion de la Gale­rie Dina Vierny et du Musée Maillol, cette inédite quête de l’har­mo­nie entre les pein­tures et dessins de Cathe­rine Viol­let et les œuvres qui les ont inspi­rées met en relief ce qui les rassemble : l’élan vital, le souffle de la liberté, l’échap­pée dans l’ima­gi­naire, la recherche de la beauté vraie, cet autre nom de la vérité, au plus intime d’une fémi­nité assez forte pour oser s’aban­don­ner.


Stéphane Corréard et Hervé Loeven­bruck

Sur le pas du temps du modèle

Lorsque Cathe­rine Viol­let m’a invi­tée à écrire ce texte, je suis retour­née au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris visi­ter la collec­tion. C’est toujours un moment qui m‘apaise beau­coup que de revoir les Bonnard, les salles Supports/surfaces, ou encore les œuvres de Martial Raysse. Disons que « je m’y retrouve » …
Les hasards du calen­drier ont fait qu’au même moment, les expo­si­tions d’An­dré Cadere et A.R.Penck étaient à l’af­fiche. Si la « pein­ture en bâton » de l’un me permet­tait d’ap­pré­hen­der le contexte français des années 70, la pein­ture sur toile de l’autre m’ai­dait à mieux comprendre la rencontre de l’abs­trac­tion et de la figu­ra­tion, du signe et du symbole … et donc, entre ces deux rétros­pec­tives, à mieux cerner l’his­toire de Cathe­rine et de sa pein­ture, sa pein­ture à un moment de cette histoire.
Ce qui m’a inté­res­sée lorsque j’ai vu pour la première fois son travail il y a quelques années, c’est son prin­cipe de « dé-liai­son ». Dans un premier temps, de façon formelle, la dé-liai­son nommait la distance entre dessin et couleur, la disso­cia­tion du trait et de l’aplat, et donc, en consé­quence la part du vide dans le tableau.
J’ai retrouvé ensuite un peu partout ce mot de dé-liai­son : en écono­mie, dans l’ur­ba­nisme, en psycha­na­lyse … et pour au moins chacun de ces trois domaines, l‘on convien­dra avec moi que le vide est on ne peut plus signi­fi­ca­tif …
Outre la néces­sité de rappe­ler que la dé-liai­son est aussi ce qui permet à l’air de circu­ler dans le tableau, elle nomme ainsi la perte, l’ab­sence de lien.
Je m’in­ter­ro­geais en même temps sur la possi­bi­lité pour sa pein­ture, dans son dérou­le­ment, de deve­nir le lieu même de la restau­ra­tion de ce lien. Comme le pointe Alin Avila : un air tumul­tueux circule sur le tableau et si tout ne vole pas, c’est bien parce que le regard tient, tend tout cela, une tenta­tive d’équi­libre instable selon la formule, employée dans d’autres circons­tances, par Sylvia Bächli.
Mais ce qui m’in­té­res­sait plus profon­dé­ment encore, et comme à chaque fois que je regarde de la pein­ture contem­po­raine, c’était sa capa­cité à me distan­cier tout autant qu’à me propul­ser dans les préoc­cu­pa­tions d’un monde fait de flux et de réseaux, de circu­la­tions et de relais, de véhi­cules d’in­for­ma­tions, d’objets, d’hommes …
Je l’ai déjà écris ailleurs : comment des notions telles que l’im­mé­dia­teté de l’in­for­ma­tion, l’abo­li­tion des distances … mais aussi le durcis­se­ment des fron­tières, l’ac­crois­se­ment des inéga­li­tés entre centre et péri­phé­rie, nord et sud viennent enri­chir le voca­bu­laire des pratiques pictu­rales, et, à l’in­verse, la possi­bi­lité pour la pein­ture de s’en empa­rer ?
Comment imagi­ner une traduc­tion plas­tique à ces réseaux qui couvrent désor­mais l’en­semble de la surface de la planète, et dont l’im­ma­té­ria­lité rajoute beau­coup à la brutale immé­dia­teté de leurs effets.
C’est, à mon sens, cette imma­té­ria­lité qui fait de la pein­ture et de sa capa­cité à trans­for­mer des signes en symboles un des médiums les plus perti­nents pour une tache d’en­ver­gure : donner une image à cette nouvelle orga­ni­sa­tion du monde, et ainsi, adou­cir le trau­ma­tisme dont parle Paul Viri­lio d’une déso­rien­ta­tion fonda­men­tale dû aujour­d’hui au temps réel, succes­sif à celui de l’es­pace réel de la Renais­sance.
Cathe­rine elle-même en parle : Comment rester serein et en harmo­nie quand tout se bous­cule, quand ce début de siècle met en œuvre les grands mouve­ments du monde, que ces évène­ments prennent telle­ment le cœur et l’âme…

Dans l’ex­po­si­tion de l’Oran­ge­rie du Château de Sucy-en-Brie, nous retrou­vons les toiles mettant en œuvre l’as­so­cia­tion du dessin et de la pein­ture, du fusain et de l’huile, où le gras accroche la surface rêche de la toile apprê­tée à la pierre ponce. Jacques Py parle du […] tracé sismo­gra­phique du dessin où la ligne doute et se partage entre l’hé­si­ta­tion et l’af­fir­ma­tion.
J’y ajou­te­rais la vibra­tion de cette même ligne -où le geste du tracé du peintre semble réson­ner encore à la surface- et la tenta­tion de la chute -entre gravité et suspen­sion des corps.
En tout état de cause, rester verti­cal me dis-je sans cesse…
D’une démarche essen­tiel­le­ment basé sur le dessin et sa rela­tion à l’es­pace advient, ces derniers temps, une nouvelle histoire figu­rée à la mine de plomb et à l’aqua­relle sur tissus blancs amidon­nés repre­nant les sché­mas météo­ro­lo­giques que nous livrent quoti­dien­ne­ment la presse.
Une recherche graphique et pictu­rale qui reprend le motif, cher à l’ar­tiste, du cous­sin d’air, mais qui semble aussi, comme je me le deman­dais plus haut, restau­rer le lien. Se réfé­rer aux graphiques atmo­sphé­riques du dépla­ce­ment des masses d’air, à leurs cartes striées de flèches dans toutes les direc­tions, en donner l’image d’un « monde flot­tant », une vision de l’éphé­mère, du fluc­tuant, de l’in­stable … mais les traits reliés cette fois ci.
L’on connaît le nuage comme motif symbo­lique parti­cu­liè­re­ment impor­tant dans l’his­toire de la pein­ture. D’autre part, Pierre Sterck le rappelle : l’ico­no­gra­phie de la carto­gra­phie a été indexée au réper­toire formel pictu­ral ce qui a donné une conver­sion de l’es­pace ou les usages humains d’es­paces en formes plas­tiques signi­fiantes.
Le travail actuel de Cathe­rine Viol­let se situe­rait quelque part entre la « Théo­rie du nuage » d’Hu­bert Damisch et l’ex­po­si­tion « GNS Global Navi­ga­tion System » qui a eu lieu en 2003 au Palais de Tokyo.
Entre temps, il a fallu la dispa­ri­tion des mondes mytho­lo­giques et reli­gieux pour que les éléments de la nature, tenus jusque-là pour le simple arrière-plan de scènes divines, soient litté­ra­le­ment révé­lés : Là où le peintre du Moyen-âge n’a jamais peint un nuage sinon dans l’in­ten­tion d’y placer un ange […] nous ne croyons pas quant à nous que les nuages contiennent autre chose qu’une quan­tité donnée de pluie ou de grêle écrit Hubert Damisch rappe­lant ainsi que le peintre du XIXe siècle s’in­té­resse à l’as­pect sensible des nuages, à leurs confi­gu­ra­tions objec­tives, aux effets de brume, à l’ap­pa­rence des choses vues à travers l’écran des forma­tions atmo­sphé­riques.
Que la nomi­na­tion des nuages et les travaux des météo­ro­logues du XIXe siècle coïn­cident avec les heures glorieuses de la pein­ture de paysage n’est évidem­ment pas le fruit du hasard. Cette dernière corres­pond aux inté­rêts scien­ti­fiques pour une véri­table décou­verte, en profane, des miracles de la nature. Au même moment, la pein­ture de nuage contri­buera large­ment à alimen­ter les rêve­ries roman­tiques.
Conscient aujour­d’hui des drames et de l’émo­tion univer­selle que suscite les colères du ciel, le peintre contem­po­rain conjugue l’ex­cel­lence de la tech­ni­cité météo­ro­lo­gique à l’évo­ca­tion de ce nouveau mystère que repré­sente l’ap­pa­rente virtua­lité des énon­cés météos et la cruelle réalité de leurs effets.
Cathe­rine collecte et réin­tègre sur de grandes séri­gra­phies desti­nées à voiler les fenêtres de la salle d’ex­po­si­tion, ces commen­taires. Aussi abstraits que poétiques, souvent terribles, rela­tifs aux pertur­ba­tions atmo­sphé­riques, et donc à l’in­ter­rup­tion d’un état d’équi­libre, ils figurent une des peurs collec­tives du XXIe siècle, pas si éloi­gnés que ça, peut-être, des mythiques frayeurs des temps passés.
Je feuillette l’al­bum photo qui clôture la mono­gra­phie de Cathe­rine Viol­let édité en 1996, je regarde le déroulé de ces décen­nies : 1970, 1980… dont je me sens complè­te­ment l’en­fant. Cela m’éclaire tout autant sur l’his­toire de l’art français que sur ma propre histoire ; et plus loin, plus tard, je lis : Les nuages sont formés d’une matière unique qui ne cesse de se trans­for­mer, que tout nuage en somme est la méta­phore d’un autre.

Delphine Maurant Paris 29 février 2008

La dernière cita­tion est de Stéphane Aude­guy, La théo­rie du nuage, Flam­ma­rion, 2005